Chaque manager prend des décisions difficiles – cela fait partie du job. Et les décisions les plus difficiles interviennent dans les zones grises – des situations où, bien que vous ayez déployé des efforts considérables, votre équipe et vous, pour rassembler tous les faits, et réalisé la meilleure analyse possible, vous ne savez toujours pas quoi faire.

Il est facile d’être paralysé devant de tels défis. Pourtant, en tant que responsable, il vous faut prendre une décision et aller de l’avant. C’est alors que votre jugement devient crucial. La notion de jugement est difficile à définir. C’est une fusion de vos réflexions, de vos sentiments, de votre expérience, de votre imagination et de votre caractère. Mais cinq questions pratiques peuvent augmenter vos chances de porter un jugement sensé, même quand les données sont incomplètes ou peu claires, que les opinions sont divisées et que les réponses sont loin d’être évidentes. D’où viennent ces questions ? Elles ont émergé au fil des siècles, à travers de nombreuses cultures différentes, alors que des hommes et des femmes ayant d’importantes responsabilités étaient aux prises avec des problèmes ardus. Elles traduisent les idées des esprits les plus pénétrants et des âmes les plus compatissantes de l’histoire humaine. Je me suis appuyé sur elles pendant des années, en enseignant à des candidats au MBA et en conseillant des cadres, et je crois qu’elles peuvent vous aider, vous, votre équipe et votre entreprise, à naviguer dans les plus grises des zones grises. Le présent article expose ces cinq questions et les illustre au moyen d’une étude de cas déguisée, dans laquelle un manager doit décider des mesures à prendre au sujet d’un employé sans cesse sous-performant et qui n’a pas su répondre aux propositions d’amélioration qui lui étaient faites. Il mérite une mauvaise note, voire un licenciement, mais les membres de la direction de l’entreprise sont partisans de fermer les yeux sur ses échecs. Comment le manager abordera-t-il cette situation ? Pas en écoutant son instinct. Pas en s’inclinant purement et simplement. Au lieu de cela, il lui faut travailler systématiquement sur les cinq questions suivantes : 1- Quelles sont les conséquences net-net de chacune de mes options ? 2- Quelles sont mes obligations fondamentales ? 3- Qu’est-ce qui peut marcher dans le monde tel qu’il est ? 4- Qui sommes-nous ? 5- Que puis-je assumer ? Pour faire face à ces questions, vous devez pouvoir compter sur les informations les plus fiables et la meilleure expertise disponible. Mais enfin de compte, c’est à vous qu’il appartient d’apporter des réponses. Avec les décisions de zones grises, vous ne pouvez jamais être certain d’avoir fait le bon choix. Mais en suivant ce processus, vous saurez que vous avez travaillé sur le problème de façon appropriée, non seulement comme un bon manager, mais aussi comme un être humain réfléchi.

1- Quelles sont les conséquences net-net de chacune de mes options ?

La première question nécessite que vous considériez de façon approfondie et analytique chaque ligne de conduite qui s’offre à vous, ainsi que ses conséquences humaines réelles. Les problèmes de zones grises sont rarement résolus grâce à l’intuition lumineuse d’une seule personne. Comme me l’a déclaré un P-DG ayant brillamment réussi : « Le chef solitaire sur l’Olympe est vraiment un mauvais modèle. » Votre tâche consiste donc à mettre de côté votre hypothèse initiale sur ce que vous devriez faire, à réunir un groupe de conseillers et d’experts de confiance et à leur demander, ainsi qu’à vous-même : « Que pouvons-nous faire ? Et qui souffrira ou bénéficiera, à court terme et à long terme, de chaque option ? » Ne confondez pas cela avec une analyse coût-bénéfice, et ne vous concentrez pas uniquement sur ce qu’il vous est possible de compter ou de mesurer. Naturellement, vous devez disposer des meilleures données possibles et appliquer des cadres appropriés. Mais les problèmes de zones grises exigent que vous réfléchissiez de façon plus large, plus profonde, plus concrète, plus imaginative et plus impartiale aux implications exactes de vos choix. Pour citer Mozi, philosophe de la Chine antique : « C’est l’affaire de l’homme bienveillant que de chercher à promouvoir ce qui est bénéfique pour le monde et d’éliminer ce qui est nocif. » Dans le monde complexe, fluide et interdépendant d’aujourd’hui, aucun de nous ne peut prédire l’avenir avec une totale précision. Et il est parfois difficile de réfléchir clairement aux problèmes de zone grise. L’important est que vous preniez le temps d’ouvrir votre esprit, de mettre sur pied l’équipe adéquate et d’analyser vos options dans une optique humaniste. Vous pouvez esquisser un arbre de décision approximatif en dressant la liste de tous les mouvements potentiels et de tous les résultats probables, ou désigner certaines personnes qui se feront l’avocat du diable afin de trouver des failles dans votre raisonnement et vous empêcher de tirer des conclusions hâtives ou de succomber à la pensée de groupe. Quand vous prenez des décisions importantes, vous influez sur la vie et les moyens d’existence de nombreuses personnes. La première question nécessite que vous preniez cette réalité à bras-le-corps.

2- Quelles sont mes obligations fondamentales ?

Nous avons tous des devoirs – en tant que parents, enfants, citoyens, employés. Les managers ont en outre des devoirs envers les actionnaires et les autres parties prenantes. Mais la deuxième question concerne quelque chose de plus large encore : le devoir qui nous incombe de protéger et de respecter la vie, les droits et la dignité de notre prochain, homme ou femme. Les grandes religions du monde – islam, judaïsme, hindouisme, christianisme – mettent toutes l’accent sur cette obligation. Comme le déclare l’éthicien contemporain Kwame Anthony Appiah : « Aucune allégeance locale ne peut jamais justifier d’oublier que chaque être humain a des responsabilités envers les autres. » Comment pouvez-vous déterminer de façon précise ce que ces devoirs vous obligent à faire dans une situation particulière ? En vous appuyant sur ce que les philosophes appellent votre « imagination morale ». Cela implique de vous extraire de votre zone de confort, de prendre conscience de vos préjugés et de vos angles morts, et de vous mettre dans la peau de toutes les parties prenantes, surtout les plus vulnérables. Comment vous sentiriez-vous à leur place ? Qu’est-ce qui vous inquiéterait ou vous effraierait le plus ? Comment souhaiteriez-vous qu’on vous traite ? Qu’est-ce que vous trouveriez juste ? Quels droits penseriez-vous avoir ? Qu’est-ce qui vous paraîtrait détestable ? Vous pouvez parler directement aux personnes qui seront affectées par votre décision. Vous pouvez aussi demander à un membre de votre équipe de jouer le rôle de l’outsider ou de la victime de manière aussi convaincante que possible. Là encore, vous devez regarder au-delà des critères économiques et de la formation que vous avez reçue dans votre business school. Certes, les managers ont le devoir légal de servir leur entreprise, mais c’est un devoir très vaste qui inclut le bien-être des employés, des clients et de la communauté dans laquelle ils évoluent. Vous avez des obligations réelles à l’égard de chacun d’eux tout simplement parce que vous êtes un être humain. Lorsque vous êtes confronté à une décision de zone grise, vous devez réfléchir – mûrement, attentivement et personnellement – à celui de ces devoirs qui a la priorité.  
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