Nous avons tous une vision déformée du monde dans lequel nous vivons, un monde que nous devrions pourtant mieux connaître si nous avons la prétention et la volonté de l’améliorer. Cette vision déformée est due à nos instincts qui nous poussent à voir les choses pires qu’elles ne le sont réellement. Une manière de changer ces réflexes est de s’en tenir aux faits seuls. Pas forcément facile tant nos émotions prennent de la place.   Le passage de la Saint Sylvestre s’accompagne souvent de la prise de bonnes résolutions. Il est temps de changer de caps et d’atténuer toutes les mauvaises habitudes que l’on a prises. Selon un sondage effectué en Décembre 2018 par l’agence Capa, 91% des Français déclarent repartir d’un nouvel élan au 1er Janvier. Parmi les bonnes résolutions prises, le Top 3 en 2019 donne : « être moins stressé et plus heureux », « réduire les écrans » et « gagner plus d’argent ». Pourtant, ce sondage indique aussi que 85% des Français échoueront dans leurs objectifs... Je ne veux pas faire partie de ces personnes fatalistes qui visent trop haut pour se faire plaisir et qui baissent les bras quelques semaines après, avec la meilleure des raisons, le plus souvent extérieure à eux. C’est d’ailleurs surprenant cette manière que nous avons tous naturellement à minimiser les choses ou à en voir le côté obscur à priori.  

Factfulness : éloge de notre vision fausse et pessimiste du monde

J’ai trouvé récemment des éléments de réponse dans le livre « Factfulness » de Hans Rosling que je souhaite partager. Pour Bill Gates, ce livre est d’ailleurs si important qu’il vient de l’offrir à 4 millions d’étudiants Américains ! Professeur de médecine et statisticien Suédois Rosling défend l’idée que notre vision du monde est la plupart du temps fausse et beaucoup trop négative. Ce combat est devenu sa mission : lutter contre cette « ignorance dévastatrice » provoquée par nos instincts. Nous pouvons pour cela user d’une arme redoutable ; la consultation systématique des données statistiques. Effaré par la méconnaissance que les gens ont du véritable état de la planète, il avait créé en 2005 la fondation Gapminder afin de mesurer systématiquement cette ignorance générale. Il a  ensuite confronté ses mesures aux gigantesques sommes de données récoltées par les plus grands organismes internationaux.  

Le point de vue de Rosling

Rosling a la conviction que nous avons tous une vision déformée du monde dans lequel nous vivons, un monde que nous devrions pourtant mieux connaître si nous avons la prétention et la volonté de l’améliorer. « Tous les groupes de personnes que j’ai interrogés estiment que le monde est plus effrayant, plus violent, plus dramatique qu’il ne l’est en réalité ». Et cet à priori nous occulte ce qu’il appelle « le secret et silencieux miracle du progrès humain ». Il est vrai que le lent cheminement des avancées sociales, médicales, technologiques, fait moins de « bruit » que les crises, les conflits armés, les épidémies et les catastrophes, naturelles ou non. Rosling n’est pas pour autant un « angéliste ». Plutôt qu’optimiste, il se dit « possibiliste ». Il sait que le progrès peut être brutalement mis à mal par une pandémie incontrôlable, une guerre généralisée ou un monstrueux krach financier.  

16 choses terribles

Dans son livre, il présente son panorama du monde qui s’améliore régulièrement, et il énumère en premier lieu, chiffres à l’appui, « les seize choses terribles en voie de disparition ou pratiquement éradiquées ». Parmi elles, le travail forcé ou esclavage légal, les marées noires, les nouvelles infections HIV, la mortalité infantile, les armes nucléaires, la sous-alimentation etc ... En regard, il pointe également « les choses merveilleuses qui sont allées de mieux en mieux ». Parmi elles, la protection de la nature, le droit de vote des femmes, la rémission du cancer chez l’enfant, l’accès à l’électricité, les filles à l’école primaire, l’utilisation d’internet etc ... Et pourtant, à la question : « pensez-vous que le monde va mieux, va plus mal ou n’a pas changé ? » posée à un panel mondial représentant 30 pays, une forte majorité décréta qu’il allait plus mal. Qu’est-ce qui nous pousse à noircir le tableau ainsi ? Rosling met évidemment en cause les médias et les activistes (ONG, associations) qui mettent plutôt l’accent sur les situations négatives. Mais il y a aussi selon lui autre chose ; ce sont nos instincts !  

Nos instincts sont nos alertes mais aussi des perturbateurs de vision

Il nous serait difficile de changer le logiciel de notre vision du monde surdramatisée parce que cette vision déformée est la conséquence de la façon dont notre cerveau a été façonné tout au long des millions d’années d’évolution. Nous avons gardé au plus profond de nous des instincts qui ont permis à nos ancêtres de survivre, comme le besoin de sucre et de gras, sources d’énergie salutaires quand la nourriture était rare. Sucre et gras qui font aujourd’hui de l’obésité un des problèmes majeurs de notre époque. Tous ces instincts sont évidemment utiles aujourd’hui pour contrebalancer notre rationalité et mettre de l’émotion dans nos vies. Mais incontrôlés, ils boostent notre vision fausse de monde et nous empêchent de le voir tel qu’il est. Notre vision négative de l’état du monde, présent ou futur, est d’autant plus aigüe que nous tendons à sublimer le passé : « c’était mieux avant ». Or, globalement c’était pire.  

De la perspective

Tous se passe donc comme si, lors d’appréciations majeures sur notre monde, nous en oublions les faits pour ne faire jouer que nos impressions, appelant à une vision erronée du futur. Si l’on part du principe que nos dirigeants peuvent parfois suivre le même schéma dans leurs prises de décisions stratégiques pour l’entreprise, on peut imaginer les conséquences pour celle-ci. Il semble malgré tout qu’au sein de l’entreprise, par l’existence de la finance et autre méthodes rationalisantes (les KPI notamment), le syndrôme Roslingien de « l’ignorance dévastatrice » soit limité. Dans notre métier de management de transition, nous le voyons bien ; en début de mission, le dirigeant se concentre sur ses constats pour dresser rapidement un état des lieux factuels et pouvoir en tirer rapidement ses premières préconisations à nos clients. Comme le rappelait Aldous Huxley en 1957 dans Note sur le dogme : « Les faits ne cessent pas d’exister parce qu’on les ignore » !   Benoit DURAND TISNES Managing Director - Wayden