Vincent Potel est Directeur Général de transition. Depuis plus de 10 ans, il intervient sur des missions de redressement et de restructuration. Il agit auprès de start-ups ou des filiales de grands groupes, dans divers secteurs d'activité, dans toute la France.

Vous êtes intervenu sur des missions impliquant de l’intelligence artificielle. Pourriez-vous nous donner un exemple concret ?

Je vais vous donner deux exemples. Actuellement, je suis Directeur Général de la filiale numérique d'un répartiteur pharmaceutique. Nous avons eu une problématique de traitement de flux sur un centre d'appels, et nous avons utilisé une solution basée sur l'IA pour enregistrer et retranscrire les appels, afin de rédiger un compte rendu. Avec la constitution de cette base de données, nous alimentons une Foire aux questions pour améliorer la qualité du service clients. J'ai aussi travaillé pour une start-up spécialisée dans le timelapse. Quand je suis arrivé, l'entreprise n'avait qu'une seule activité historique, la communication sur les chantiers. Pendant ma mission, nous avons défini trois domaines d'activité stratégique : la communication, la sécurité, et la surveillance sur site. Nous avons utilisé l'intelligence artificielle pour analyser les photos prises sur les chantiers et identifier si les gens portaient ou non des casques de sécurité. Nous avons également utilisé l'IA et l'Internet des objets pour surveiller les sites et analyser la qualité des déchets déposés, dans le cadre de la mise en œuvre de la loi AGEC.  

Selon vous, l’IA a-t-elle été adoptée dans les entreprises ?

Je pense que nous sommes dans une situation similaire à celle de l'arrivée d'Internet. Les entreprises commencent à comprendre l'importance de l'IA, mais cela prend du temps, l’acquisition de compétences. Les entreprises doivent être prêtes à se remettre en question et à comprendre l'impact de cette nouvelle technologie. Il est crucial de former des équipes pluridisciplinaires à différents niveaux hiérarchiques pour analyser en profondeur les domaines dans lesquels l'IA peut apporter de la valeur ajoutée. Il ne s'agit pas simplement de suivre une formation sur des outils comme GPT, mais d'établir un plan stratégique sur 5 à 10 ans. Les secteurs normés où il existe des procédures de contrôle, comme la chaîne d'approvisionnement et la production mais également la finance et les ressources humaines, seront fortement impactés. L'IA jouera également un rôle majeur dans la relation client et servira à optimiser les processus internes des entreprises.  

Avez-vous des exemples d'entreprises qui ont su tirer parti de l'IA pour créer un avantage compétitif ?

C'est trop tôt pour le dire. Il y a beaucoup d'entreprises qui utilisent l'IA, mais il est important de se rappeler que l'IA est un outil et non une fin en soi. Il faut une entreprise avec une création de valeur claire pour que l'outil soit utile. Nous sommes dans une phase où le marché est saturé de micro-solutions. Il y a une profusion d'outils, qui ne sont pas toujours bien utilisés, notamment dans le domaine des réseaux sociaux. Les gens pensent parfois qu'ils peuvent simplement appuyer sur un bouton et que tout ira bien, ce qui est loin d'être le cas. Il y a un réel besoin de concentration et d’analyse des outils adaptés.  

Comment imaginez-vous l'évolution de l'IA ?

Je pense que l'IA est actuellement à un stade similaire à celui d'internet à ses débuts. Il y avait une multitude d'options et d'informations, mais c'était assez chaotique et difficile de s’y retrouver. Avec le temps et l'adoption généralisée, les choses se sont structurées et sont devenues plus qualitatives. Je pense que c'est un cycle naturel dans tout nouveau marché. Il y a d'abord une phase d'explosion avec beaucoup de nouveaux acteurs et solutions, puis une crise qui conduit à une consolidation et à l'émergence de quelques grands acteurs. C'est ce qui s'est passé dans le domaine des télécommunications, et je pense que cela se produira aussi dans le domaine de l'IA. Je ne crois pas à une révolution de l'IA qui surpasserait l'humain. Je pense que la première étape sera une consolidation et une adoption plus large par le grand public. L'IA va continuer à se développer à un rythme très rapide, et il est crucial de rester agile et de suivre ces développements de près. La pandémie de COVID-19 a considérablement accéléré l'adoption de technologies comme la vidéoconférence et il y a toujours un temps d'apprentissage nécessaire pour adopter de nouvelles technologies. Je ne peux pas prédire comment l'IA va évoluer, mais l'utilisation qui en sera faite et son impact sur notre quotidien seront certainement des éléments clés à surveiller.  

Quels sont les pays qui font figure de précurseur sur l’IA ?

Les Etats-Unis ou la Chine sont souvent cités, et il est vrai qu'ils ont une longueur d'avance dans certains domaines comme le commerce électronique. Cependant, je pense que l'avenir est en Inde. Ils ont une culture d'apprentissage en anglais, un grand nombre d'ingénieurs, et une approche qui pourrait les amener à faire de grands progrès dans le domaine de l'IA. Quant à la France, il y a de belles initiatives mais nous ne sommes pas dans le peloton de tête. Nous avons en revanche des talents mondialement connus, je pense notamment à Luc Julia. C’est une référence dans le domaine et il a apporté une perspective très pertinente sur l'intelligence artificielle, ou plutôt sur l'apprentissage automatique, comme il préfère l'appeler. Il souligne que la machine apprend à partir des données que nous lui fournissons, et c'est ce processus d'apprentissage qui crée ce que nous appelons l'intelligence artificielle.  

Avec l’IA se pose la question de l’éthique. Qu’en pensez-vous ?

Il ne faut pas croire aveuglément tout ce que l'on trouve sur internet ou ce que l'IA nous propose. Il faut avoir une démarche critique et se demander d'où vient l'information et si elle est fiable. Comme avec les journaux, il y a différents biais et orientations, et il est essentiel d'en être conscient. Il faut aussi veiller à intégrer l'éthique dès le début dans le développement des outils d'IA. Et enfin, il est important de rester agile et d'être prêt à s'adapter aux changements rapides qui s'annoncent dans ce domaine. La conférence de « Bletchey Park » illustre que nous avons pris conscience qu’il faut réguler le développement et l’usage de l’Intelligence artificielle avant qu’il ne soit trop tard.